Mémoire d'amicus curiae de la FSF, Eldred v. Ashcroft
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No. 01-618
À LA
Cour suprême des États-Unis
ERIC ELDRED et coll.,
Requérants
v.
JOHN D. ASHCROFT, en sa qualité officielle
de Ministre de la justice,
Intimé
Requête en certiorari auprès de la
Cour d'appel des États-Unis pour le
circuit du district de Columbia
Mémoire d'amicus curiae de la
Free Software Foundation
à l'appui des requérants
Avocat inscrit au dossier
435 West 116th Street
New York, NY 10027
(212) 854-8382
Avocat de l'amicus curiae
Question présentée
Table des matières
- Question présentée
- Table des matières
- Tableau des autorités
- Intérêt de l'amicus curiae
- Résumé de l'argument
- Argument
- I. Les pionniers destinaient le copyright à établir un monopole de droit sur les œuvres d'auteur pendant un temps strictement limité
- II. La politique
historique inscrite dans la clause du copyright est absolument nécessaire à
la réconciliation entre le monopole du copyright et le système de libre
expression
- A. La prolongation indéfinie de la durée du monopole sur les œuvres d'auteur existantes est incompatible avec la clause du copyright et le premier amendement
- B. Le cinquième amendement interdit ce genre de pratique juridique à l'égard des droits de propriété physique, et aucune justification constitutionnelle ne permet de faire avec la libre expression ce qui ne peut pas l'être avec la simple propriété
- III. Les dangers spécifiques d'abus et de corruption justifient un examen constitutionnel rigoureux lorsqu'il s'agit de prolonger la durée des monopoles de droit
- Conclusion
Tableau des autorités
Causes
- Abrams v. United States, 250 U.S. 616 (1919) 10
-
Darcy v. Allen, (The Case of Monopolies),
11 Co. Rep. 84 (1603) 5 - Eldred v. Reno, 239 F.3d 372 (CADC 2001) 7, passim
-
Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone
Service, Co., Inc., 499 U.S. 340 (1991) 7,11,12 - Goldstein v. California, 412 U.S. 546 (1973) 12
-
Harper & Row, Publishers, Inc. v. Nation
Enterprises, 471 U.S. 539 (1985) 9 -
Hawaii Housing Authority v.
Midkiff, 467 U.S. 229 (1984) 14 - New York Times Co. v. Sullivan, 376 U.S. 254 (1964) 10
-
Reno v. American Civil Liberties Union,
521 U.S. 844 (1997) 10 -
San Francisco Arts & Athletics, Inc. v.
United States Olympic Committee,
483 U.S. 522 (1987) 9 - Schnapper v. Foley, 667 F.2d 102 (CADC 1981) 11
- Singer Mfg. Co. v. June Mfg. Co., 163 U.S. 169 (1896) 11
- Trademark Cases, 100 U.S. 82 (1879) 11
-
West Virginia Board of Education v. Barnette,
319 U.S. 624 (1943) 10
Constitutions, lois et règlements
- U.S. Const. Art. I, §8, cl. 8 3, passim
- U.S. Const. Amend. I 7, passim
- U.S. Const. Amend. V 13,14
-
Copyright Act of 1709 (Statute of Anne),
8 Anne, c. 19 6 - Copyright Act of 1790, 1 Stat. 124 6
-
Sonny Bono Copyright Term
Extension Act, Pub. L. No. 105-298,
Title I, 112 Stat. 2827 3, passim - Statute of Monopolies, 21 Jac. I, c. 3 5
Autres documents
-
Yochai Benkler, Free as the Air to Common
Use : First Amendment Constraints on
Enclosure of the Public Domain,
74 N.Y.U.L. Rev. 354 (1999) 8 -
William Blackstone, Commentaries on
the Laws of England (1769) 5 -
The Charter and General Laws of the Colony
and Province of Massachusetts Bay (Boston, 1814) 6 - 144 Cong. Rec. H9951 (daily ed. Oct. 7, 1998) 3
-
Thomas I. Emerson, The System of Freedom
of Expression (1970) 9 -
Max Farrand, The Records of the Federal
Convention of 1787 (1937) 6 -
George Lee Haskins, Law and Authority
in Early Massachusetts (1960) 6 -
Melville B. Nimmer, Does Copyright Abridge
the First Amendment Guaranties of Free Speech
and the Press?, 17 UCLA L. Rev. 1180 (1970) 8 -
Mark Rose, Authors and Owners:
The Invention of Copyright (1993) 6 - Cecily Violet Wedgwood, The King's Peace (1955) 5
No. 01-618
À LA
Cour suprême des États-Unis
ERIC ELDRED et coll.,
Requérants
v.
JOHN D. ASHCROFT, en sa qualité officielle
de Ministre de la justice,
Intimé
Requête en certiorari auprès de la
Cour d'appel des États-Unis pour le
circuit du district de Columbia
Mémoire d'amicus curiae de la
Free Software Foundation
à l'appui des requérants
Intérêt de l'amicus curiae
Ce factum est déposé au nom de la Free Software Foundation, une organisation à but non lucratif dont le siège est à Boston, Massachusetts [1]. La Fondation pense que les gens doivent être libres d'étudier, de partager et d'améliorer tous les logiciels qu'ils utilisent, comme ils sont libres de partager et d'améliorer toutes les recettes qu'ils cuisinent, et que ce droit est un aspect essentiel du système de libre expression dans une société technologique. La Fondation travaille dans ce but depuis 1985 en développant directement puis en distribuant et en aidant les autres à développer et à distribuer du logiciel placé sous des termes de licences qui permettent à tous les utilisateurs de copier, modifier et redistribuer les œuvres, à condition de donner aux autres les mêmes libertés de les utiliser, de les modifier et de les redistribuer à leur tour. La Fondation est le plus grand contributeur unique du système d'exploitation GNU (largement utilisé aujourd'hui dans ses variantes GNU/Linux pour des ordinateurs allant du simple PC aux grappes de supercalculateurs). La licence publique générale GNU [GNU General Public License] de la Fondation est la licence la plus largement utilisée pour les « logiciels libres » ; elle couvre les principaux composants du système d'exploitation GNU et des dizaines de milliers d'autres programmes informatiques utilisés sur des dizaines de millions d'ordinateurs dans le monde. La Fondation porte un vif intérêt à l'utilisation et à l'adaptation de la loi sur le copyright en vue d'encourager le partage et de protéger les droits des utilisateurs et du domaine public.
Résumé de l'argument
À vrai dire, Sonny [Bono] voulait que la durée de la protection du copyright soit éternelle.
– Rep. Mary Bono
144 Cong. Rec. H9951 (daily ed. Oct. 7, 1998)
Si feu le représentant Bono croyait que c'était possible, il se trompait. La Cour d'appel s'est trompée en jugeant que les membres du Congrès acquis à sa cause peuvent réussir à faire ce que la Constitution interdit expressément, simplement parce qu'ils procèdent par succession de textes législatifs [enactments] plutôt que par une loi [statute] unique.c
Personne ne soutient sérieusement que le Congrès puisse atteindre un but expressément interdit en fragmentant les moyens d'y parvenir sous forme de plusieurs lois. La Cour d'appel a pourtant soutenu qu'à condition que chaque loi individuelle définisse une augmentation chiffrée de manière précise, le Congrès peut prolonger indéfiniment la durée de vie des copyrights existants. Cette conclusion est en conflit direct avec la formulation de la clause du copyright, article I, §8, cl. 8, dans son sens premier. De plus, l'histoire constitutionnelle de l'Angleterre et de l'Amérique du Nord britannique est sans ambiguïté sur l'importance du « temps limité » dans le contrôle des monopoles étatiques établis, genre dont le copyright et les brevets sont des espèces.d Les maux mêmes qui ont conduit les avocats constitutionnels d'Angleterre et d'Amérique du Nord britannique à exiger une durée strictement limitée pour les monopoles (qu'ils soient d'origine royale ou législative) et à inclure cette exigence dans la clause du copyright de l'article I, sont présents dans la prolongation rétroactive des copyrights existants mise en place par la CTEA (loi sur l'extension de la durée du copyright) de Sonny Bono [Pub. L. No. 105-298, Title I, 112 Stat. 2827] en question dans cette affaire.
Dans le domaine du copyright, l'exigence d'une limitation dans le temps protège le domaine public en pourvoyant à son enrichissement continuel. Le domaine public est une ressource essentielle à notre système constitutionnel de libre expression. Comme cette Cour l'a reconnu par le passé, plusieurs aspects du système de copyright représentent des limitations, exigées par la Constitution, qui portent sur la nature des monopoles que le Congrès a le pouvoir d'accorder. La limitation de durée est particulièrement importante, non seulement du fait que c'est une limitation constitutionnelle au pouvoir du Congrès en vertu de sa présence dans le texte lui-même – qui va au-delà des limitations, implicites dans le texte, du fair use (usage raisonnable) et de la dichotomie idée/expression – mais aussi du fait de sa fonction : la protection des ressources communes du domaine public.
La CTEA met les droits du domaine public en danger en passant outre la claire intention d'exiger une limitation de durée, ce qui la rend inconstitutionnelle. Si le Congrès avait agi de façon unilatérale pour réduire la durée du copyright, comme le Solicitor General (avocat du gouvernement fédéral) semble croire qu'il en a le pouvoir, en faisant entrer de force certaines œuvres dans le domaine public des décennies avant la date prévue par le calendrier actuel, il ne fait aucun doute que les industries basées sur le copyright auraient attaqué la législation comme confiscatoire.e Si, d'autre part, le Congrès faisait en sorte de prolonger de 99 ans, au loyer actuel, chaque bail de location de 50 ans contracté par l'État fédéral, il ne fait aucun doute qu'il serait exigé une compensation. On ne doit pas donner au Congrès le droit de confisquer au public l'avantage de réversion au domaine public, pas plus que de confisquer à son détenteur une partie de la durée originale d'un contrat de copyright ou de n'importe quel avantage lié à un bail de propriété immobilière. Le système constitutionnel de libre expression, la formulation de la clause du copyright et l'histoire de nos traditions n'en exigent pas moins.
Argument
I. Les pionniers destinaient le copyright à établir un monopole de droit f sur les œuvres d'auteur pendant un temps strictement limité
Les mots « pour des temps limités » qui figurent dans la clause du copyright, article I, §8, cl. 8 sont le résultat d'une longue et amère expérience avec la plaie constitutionnelle que représentent les monopoles attribués par l'État. Depuis le 17e siècle, la condition de limitation dans le temps était un mécanisme constitutionnel essentiel pour faire face au potentiel d'abus de pouvoir inhérent aux monopoles, qu'ils soient d'origine royale ou législative. L'utilisation par la reine Élisabeth de lettres patentes monopolisant certains négoces dans le but de soutirer l'argent des acheteurs au profit des monopoles a provoqué l'affaire Darcy v. Allen, (The Case of Monopolies – l'affaire des monopoles) [11 Co. Rep.84 (1603)] pour laquelle un monopole de patente royale sur la fabrication et la distribution de cartes à jouer a été jugé nul. Le Parlement a suivi en 1624 avec le « Statut des monopoles » [21 Jac. I, c. 3] qui déclarait que seul le Parlement pourrait accorder des monopoles de droit, limités aux nouvelles inventions, pour une période qui n'excéderait pas 14 ans [voir William Blackstone, Commentaries on the Laws of England (commentaires sur les lois d'Angleterre) *159 (1769)]. Cette limitation constitutionnelle a été esquivée par Charles Ier durant la période de son règne despotique ; les monopoles royaux résultants ont nourri des accusations substantielles dans les années qui ont précédé la guerre civile en Angleterre [voir Cecily Violet Wedgwood, The King's Peace (la paix du roi) 156-62 (1955)].
Les colons américains en désaccord avec le gouvernement de Charles Ier ont perçu la nuisance des monopoles gouvernementaux ; dès 1641, dans la colonie de la baie du Massachusetts, la Cour générale de la colonie a décrété qu'« il n'y aura de monopoles accordés ou autorisés entre nous que pour les nouvelles inventions profitables pour le pays, et ce, pour une courte période » [The Charter and General Laws of the Colony and Province of Massachusetts Bay (la Charte et les lois générales de la colonie et la province de la baie du Massachussets) 170 (Boston, 1814) ; voir aussi George Lee Haskins, Law and Authority in Early Massachusetts (les lois et autorités dans les premiers temps du Massachussets) 130 (1960)].
Quand la loi sur le copyright de 1709 (le fameux « Statut d'Anne ») a été rédigée, les pionniers ont exigé une limitation de durée bien plus rigoureuse que celle que les auteurs proposaient, dont John Locke ; ils optèrent pour la limite de quatorze ans du Statut des monopoles [voir Mark Rose, Authors and Owners : The Invention of Copyright (auteurs et propriétaires : l'invention du copyright) 44-47 (1993)]. La limite stipulée par le Statut d'Anne (quatorze années avec un renouvellement de quatorze années si l'auteur survivait à son premier terme) fut adoptée par le premier Congrès dans la loi sur le copyright de 1790 [voir Copyright Act of 1709, 8 Anne, c. 19; Act of May 31, 1790, 1 Stat. 124-25].
Les auteurs de la Constitution ont accepté de manière unanime et sans discussion substantielle l'idée d'une durée limitée pour le copyright dans la rédaction de l'article I [voir Max Farrand, The Records of the Federal Convention of 1787 (les procès-verbaux de la Convention fédérale de 1787), 321-325, 505-510, 570, 595 (1937)] [2]. Ce faisant (comme l'a montré l'utilisation de la limite temporelle du Statut des monopoles dans la loi sur le copyright de 1790 qui a suivi) les pionniers et le premier Congrès ont agi en pleine conscience de la longue histoire des tentatives faites pour contrôler les nuisances générées par les monopoles de droit, en limitant leur durée.
On ne peut pas vicier l'importance constitutionnelle de la restriction « temps limité », comme le ferait le raisonnement de la Cour d'appel, en donnant au Congrès l'opportunité de créer des jouissances à perpétuité par échelonnement, pas plus que le Congrès ne peut éliminer l'exigence constitutionnelle d'originalité [Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone Service, Co., Inc., 499 U.S. 340, 346-347 (1991)]. La Cour d'appel s'est fondamentalement trompée dans sa conclusion que « rien dans le texte ou dans l'histoire n'indique qu'une limite temporelle au copyright n'est pas un “temps limité” si celui-ci peut ultérieurement être prolongé par un autre “temps limité” » [Eldred v. Reno, 239 F.3d 372, 379 (CADC 2001)]. À cet égard, la CTEA ne doit pas être jugée isolément. Nous devons chercher à savoir s'il y a quelque chose dans le texte ou dans l'histoire qui rende constitutionnellement inacceptables les onze prolongations de la durée du monopole dans les quarante dernières années (avec pour résultat la quasi-disparition de l'élargissement au domaine public) couronnées par la présente loi, qui diffère la réversion de chaque copyright existant à des décennies.
II. La politique historique inscrite dans la clause du copyright est absolument nécessaire à la réconciliation entre le monopole du copyright et le système de libre expression
Aussi important que soit le principe de temps limité pour modérer globalement les nuisances générées par les monopoles de droit, dans le domaine du copyright celui-ci a une visée bien plus essentielle. La limitation de la durée du copyright assure le réapprovisionnement du domaine public, le vaste réservoir de la culture commune de l'humanité. Le domaine public est le tremplin de la créativité sociale, l'espace de liberté de reproduction et d'échange qui rend l'innovation possible. Comme Yochai Benkler l'a montré de façon élégante, l'existence d'un domaine public qui se développe vigoureusement réconcilie les droits exclusifs du système du copyright avec les buts fondamentaux du système de libre expression protégé par le premier amendement [voir Yochai Benkler, Free as the Air to Common Use : First Amendment Constraints on Enclosure of the Public Domain (libre comme l'air pour l'usage de tous : les contraintes du premier amendement sur l'enceinte du domaine public), 74 N.Y.U.L. Rev. 354, 386-394 (1999)]. Le Tribunal de première instance [The Court below] s'est trompé en donnant une fin de non-recevoir simpliste à la préoccupation des pétitionnaires concernant le premier amendement. Ce Tribunal a estimé au début de son avis que les exigences du premier amendement étaient « catégoriquement » satisfaites par la distinction entre idée et expression, et que par conséquent tout matériel couvert par le copyright mais dont l'utilisation pouvait être justifiée par le fair use était si abondamment protégé aux fins de libre expression qu'aucune réclamation faisant état du premier amendement ne pouvait être recevable [239 F.3d, 375-376].
Cette position n'est simplement pas tenable. Le Tribunal de première instance a reconnu qu'une tentative du Congrès de rendre le copyright perpétuel in haec verba (dans ces termes) serait interdit par la formulation de la clause du copyright [Id., 377]. Mais même si l'on peut esquiver tant bien que mal la claire injonction de la clause du copyright par le subterfuge d'une « perpétuité fragmentée », obtenue par une succession de prolongations rétroactives, cela ne rend pas le premier amendement impuissant pour autant. Comme le disait le grand spécialiste du copyright Melville Nimmer :
Si je peux posséder Blackacre perpétuellement, pourquoi pas aussi Black Beauty ? g La réponse tient dans le premier amendement. Il n'y a pas d'avantage compensatoire ayant trait à l'expression d'idées qui puisse se comparer à la possession perpétuelle d'une propriété matérielle, immobilière et personnelle. Un tel avantage existe par contre en ce qui concerne la propriété littéraire ou le copyright.
[Melville B. Nimmer, Does Copyright Abridge the First Amendment Guaranties of Free Speech and the Press ? (Le copyright diminue-t-il les garanties de la liberté d'expression et de la presse ?) 17 UCLA L. Rev. 1180, 1193 (1970)]
La position de la Cour d'appel n'est pas non plus étayée par les jugements de cette Cour. Au contraire, comme les affaires traitées par cette Cour le mettent en évidence, le copyright et les monopoles de droit qui lui sont associés doivent se conformer dans leur formulation (comme toute autre règle sur l'expression d'idées) aux exigences du premier amendement. Dans l'affaire Harper & Row, Publishers, Inc. v. Nation Enterprises [471 U.S. 539 (1985)] cette Cour a rejeté ce qu'elle caractérisait comme « une exception au copyright pour les personnages publics » parce qu'elle trouvait suffisantes « les protections du premier amendement déjà contenues dans la distinction, faite par la loi sur le Copyright, entre… les actes et les idées, le fair use donnant traditionnellement la liberté de commentaire et de recherche » [Id., 560]. Ainsi la Cour a indiqué qu'elle ne trouvait « aucune justification » à un plus ample développement de la doctrine du fair use [Id.]. Ceci n'implique nullement, comme la Cour d'appel l'a conclu tant bien que mal, que Harper & Row constitue un obstacle insurmontable à toute contestation de toute loi subséquente sur le copyright, sur la base du premier amendement [voir 239 F.3d, 375]. Dans l'affaire San Francisco Arts & Athletics, Inc. v. United States Olympic Committee [483 U.S. 522 (1987)] cette Cour a appliqué une analyse classique du premier amendement à une loi donnant une protection spéciale de quasi-marque déposée au mot « Olympic », se demandant « si les restrictions fortuites aux libertés du premier amendement n'étaient pas plus importantes que ce qui serait nécessaire à la promotion d'un intérêt supérieur de l'État » [Id., 537 (citation omise)].
Le premier amendement a horreur du vide que représente la limitation de l'expression. L'élaboration de nouvelles œuvres par la critique, l'imitation, la révision et la modification du matériel existant est caractéristique de la culture écrite dans tous les arts et les sciences. Le premier amendement n'établit pas simplement une série de doctrines indépendantes, mais un « système de libre expression » [voir Thomas I. Emerson, The System of Freedom of Expression (le système de la liberté d'expression) (1970)]. Nos engagements constitutionnels envers un débat public « désinhibé, vigoureux et grand ouvert » [New York Times Co. v. Sullivan, 376 U.S. 254, 270 (1964)], un « marché des idées » [Reno v. American Civil Liberties Union, 521 U.S. 844, 885 (1997); cf. Abrams v. United States, 250 U.S. 616, 630 (1919)] où il ne doit y avoir aucune possibilité de « prescrire ce qui devra être conforme » [West Virginia Board of Education v. Barnette, 319 U.S. 624, 642 (1943)], exige que nous regardions avec un grand scepticisme toute restriction à la formation et à l'expression des idées. Les lois qui tendent à établir des monopoles sur l'expression des idées doivent passer avec succès l'examen minutieux qui protège nos libertés les plus fondamentales. La clause du copyright n'exempte pas de cet examen la législation qui en découle, mais établit plutôt les principes qui permettent aux monopoles de droit et à la libre expression de coexister. Parmi ceux-ci, le principe de durée limitée est loin d'être le moins important. En refusant de considérer l'effet de la législation présente dans le contexte plus large d'une politique du Congrès consistant à prolonger les copyrights de manière fragmentaire, indéfinie, indifférenciée, et de la comparer aux buts établis par la clause du copyright elle-même, la Cour d'appel a failli à son devoir de protéger les intérêts inestimables du système de libre expression.
A. La prolongation indéfinie de la durée du monopole sur les œuvres d'auteur existantes est incompatible avec la clause du copyright et le premier amendement
Précisément parce que la création de droits exclusifs sur les expressions implique inévitablement un certain danger de monopolisation des idées, il est essentiel à la coexistence du copyright et du premier amendement que tous les droits exclusifs sur les expressions soient limités dans le temps. À un moment donné, tous les droits exclusifs doivent prendre fin. Selon notre Constitution, la réversion de toutes les œuvres d'auteur se fait irrévocablement au bénéfice du public.
Cette réversion n'est pas constitutionnellement facultative. Dans le contexte des brevets, cette Cour a décrit la réversion comme une « condition » que l'œuvre sujette à un monopole de droit provisoire passe dans le domaine public à l'expiration du brevet [Singer Mfg. Co. v. June Mfg. Co., 163 U.S. 169, 185 (1896)].
En dépit de ce principe constitutionnel évident, la Cour d'appel a soutenu que le Congrès pouvait créer une perpétuité sur le copyright à condition qu'il le fasse de façon séquentielle, en procédant par des prolongations répétitives de tous les copyrights existants pour des durées nominalement « limitées ». Ce jugement est en contradiction à la fois avec l'esprit de la clause du copyright et avec celui du premier amendement. La Cour d'appel a jugé à tort, en suivant son propre précédent [voir Schnapper v. Foley, 667 F.2d 102, 112 (1981)], que la seule phrase comprenant la clause du copyright, autorisant le Congrès à « favoriser le progrès de la science et des arts utiles en assurant, pour des temps limités, aux auteurs et inventeurs le droit exclusif à leurs écrits et découvertes respectifs » n'impose, dans sa déclaration d'objectifs, aucune limitation significative au Congrès. Mais la Cour d'appel a admis, comme c'est son devoir, que les affaires jugées par cette Cour montrent clairement la limitation effective du pouvoir du Congrès par la clause du copyright ; par conséquent elle porte ses efforts sur la désintégration d'un membre de phrase de vingt-sept mots dans le but de prouver que, d'une manière ou d'une autre, les neuf premiers sont constitutionnellement non pertinents.
Cette Cour a soutenu une première fois dans l'affaire des marques déposées Trademark Cases [100 U.S. 82 (1879)] et réaffirmé dans Feist, supra [499 U.S., 346-47] que le Congrès ne pouvait pas constitutionnellement édulcorer l'exigence d'originalité en rallongeant la couverture du copyright aux œuvres d'auteur qui se servent d'expressions déjà existantes, ou dans lesquelles l'effort de recueil et d'adaptation des informations existantes n'établit pas ce « minimum de créativité » que la Constitution exige. Selon la Cour d'appel toutefois, le principe d'originalité émerge uniquement des mots « écrits » et « auteur », en ne prenant pas le plus léger appui sur la déclaration d'objectifs qui introduit la clause du copyright.
La clause du copyright est unique parmi les pouvoirs législatifs énumérés à l'article I, §8 en ce qu'elle contient une déclaration d'objectifs, qui décrit à elle seule « tant les objectifs que le Congrès peut viser que les moyens d'y parvenir » [Goldstein v. California, 412 U.S. 546, 555 (1973)]. Adopter une lecture de cette clause qui refuse les conséquences juridiques des mots que les pionniers ont inclus spécifiquement et de façon atypique, est un style peu convaincant d'argumentation constitutionnelle.
Sans même se référer au début de la clause, cependant, les avis antérieurs de cette Cour montrent que la Cour d'appel a mal appréhendé la tâche d'argumentation. La Cour d'appel traite les mots « temps limités » de manière purement formelle. Elle soutient qu'après les dix prolongations précédentes enclenchées en 1962 (mettant hors de portée du domaine public pendant une génération la totalité des œuvres dont les copyrights auraient dû expirer) la prolongation par la CTEA des durées existantes pour à nouveau vingt ans ne soulève pas de question constitutionnelle significative, parce que la nouvelle prolongation est numériquement définie à vingt ans. Pourtant la même interprétation, formelle et non contextuelle des mots devrait aboutir au résultat rejeté par cette Cour à Feist : les répertoires téléphoniques sont indéniablement des « œuvres écrites », selon la même distorsion sémantique qui rend la prolongation contenue dans la CTEA « limitée ».
B. Le cinquième amendement interdit ce genre de pratique juridique à l'égard des droits de propriété physique, et aucune justification constitutionnelle ne permet de faire avec la libre expression ce qui ne peut pas l'être avec la simple propriété
Selon la logique du jugement de la Cour d'appel, apparemment appuyée dans cette Cour par le Solicitor General, le Congrès pourrait voter une loi écourtant la durée des copyrights existants, ce qui réaffecterait au domaine public un grand volume d'œuvres encore couvertes. Si la loi stipulait simplement que la durée du copyright était réduite à quatorze ans, selon la Cour d'appel, cela satisferait aux exigences de « temps limité », et cela ne donnerait aux Cours aucune raison de chercher à savoir si un tel changement favoriserait le progrès des sciences et des arts utiles. On s'attendrait toutefois à ce que les détenteurs de copyright soutiennent qu'une telle modification de la durée des droits existants les priverait du bénéfice que la « transaction du copyright » est censée leur « garantir ».
Mais la transaction du copyright a deux facettes : « garantir » aux auteurs leur monopole limité en échange de la réversion au public. Augmenter l'avantage de réversion aux dépens de la propriété initiale n'est pas conceptuellement différent d'augmenter le monopole du détenteur de copyright aux dépens de l'avantage de réversion, qui est celui de la société toute entière et du système de libre expression. Diminuer ou éliminer le domaine public afin d'augmenter le bénéfice des détenteurs de monopoles, dont les œuvres ont déjà été créées grâce à l'allocation de droits précédente, ne favorise pas le progrès des connaissances ni ne respecte l'intérêt de la libre expression, qui est d'une importance critique pour la santé du domaine public [3].
Par ailleurs, s'il s'agissait de la réquisition d'une propriété immobilière, la clause du cinquième amendement ne permettrait pas, sans une compensation, un tel ajustement législatif de la durée des avantages. Sachant que le copyright tient ses origines de la common law (loi commune), il n'est pas surprenant qu'il adopte pour les œuvres d'auteur la même structure familière de « patrimoine », à commencer par un acte de cession pour un certain nombre d'années ou un usufruit limité à un certain nombre d'années, avec une réversion au domaine public. Cette Cour a jugé que l'altération par la loi de tels patrimoines, ayant pour effet de limiter l'avantage de réversion de la propriété immobilière de manière à effectuer une redistribution entre des parties privées, est considérée comme « usage public » au sens de la clause de réquisition ; il est conforme à la Constitution s'il est compensé [Hawaii Housing Authority v. Midkiff, 467 U.S. 229 (1984)]. Mais il n'a jamais été suggéré que le Congrès ou la législature d'un État pouvait effectuer un transfert de richesses aussi énorme aux actuels rentiers, par la prolongation de tous les baux existants, en anéantissant ou en reportant indéfiniment l'avantage de réversion sans payer de compensation.
Ce qu'interdit le cinquième amendement, au sujet de l'intervention sur les droits de propriété immobilière existants, ne doit pas être autorisé quand les droits détruits par les changements législatifs des règles de propriété sont ceux de la liberté d'expression et de publication. La Cour d'appel a rejeté la demande des pétitionnaires comme s'ils revendiquaient le droit d'utiliser des œuvres couvertes par le copyright d'autrui [239 F.3d, 376]. Ce que les pétitionnaires réclament au contraire, c'est seulement leur droit constitutionnel d'utiliser des œuvres qui auraient été versées au domaine public comme exigé par la loi en vigueur à l'époque où les monopoles de droit dont il est question ont été octroyés, si le Congrès n'était pas intervenu de manière anticonstitutionnelle.
III. Les dangers spécifiques d'abus et de corruption justifient un examen constitutionnel rigoureux lorsqu'il s'agit de prolonger la durée des monopoles de droit
Au cours du premier siècle de notre république, la durée des copyrights a été prolongée une fois. Au cours des soixante-dix années suivantes, il a été prolongé encore une fois. Depuis 1962, la durée des copyrights a été prolongée régulièrement par incréments allant de un à vingt ans, et le flux d'œuvres déposées aux États-Unis vers le domaine public a presque cessé. La loi en question devant cette Cour diffère d'une génération supplémentaire les droits sur les œuvres protégées par le premier amendement pour tout autre que les détenteurs de monopoles de droit.
Aucun schéma législatif ne pourrait montrer plus clairement la présence des maux mêmes contre lesquels les auteurs de la Constitution et leurs ancêtres ont lutté, et qui ont donné naissance à la clause du copyright avec son exigence de « temps limité ». Pendant leur lutte pour la liberté constitutionnelle, nos prédécesseurs ont perçu un danger de corruption dans l'octroi des monopoles. Le danger qu'ils ont appréhendé venait de l'exécutif, qui pouvait utiliser son pouvoir pour accorder ces monopoles pour mobiliser des fonds indépendamment de la législature. À notre époque, le risque vient du fait que la législature, à qui est accordé le pouvoir de créer de tels monopoles par l'article I, §8, a pris l'habitude d'utiliser ce pouvoir pour accorder des avantages aux détenteurs de copyright au détriment du domaine public. Un tel objectif (transformer le système de libre expression en une série de fiefs privés au bénéfice des détenteurs de monopoles, qui peuvent choisir de dégrever sous forme de cotisations de campagne une petite part des rentes ainsi soutirées à la population) est clairement interdit au Congrès par la formulation de la clause du copyright et par le premier amendement. L'utilisation de prolongations intérimaires répétées pour réaliser l'effet d'une perpétuation n'est pas moins dangereuse qu'un texte unique considéré par toutes les parties comme anticonstitutionnel. Une telle pratique législative augmente au contraire les dangers de corruption sans diminuer le tort fait au domaine public.
Conclusion
Peut-être que feu le représentant Bono a cru en effet que le copyright pouvait durer éternellement. Qu'un législateur puisse soutenir ce point de vue reflète à quel point nos dérives mettent en danger une partie fondamentale de notre système de libre expression. Cette Cour doit juger que la CTEA viole les exigences de la clause du copyright et du premier amendement en prolongeant les copyrights existants. La décision de la Cour d'appel doit être annulé.
Respectueusement.
Avocat inscrit au dossier
435 West 116th Street
New York, NY 10027
(212) 854-8382
Avocat de l'amicus curiae
- [1] Les avocats des deux parties ont consenti au classement de ce factum, et ces consentements ont été classés au greffe de cette Cour. Aucun des avocats des deux parties n'a eu de rôle dans la création de ce factum, et personne d'autre que l'amicus et son avocat n'a apporté de contribution monétaire à sa préparation et à sa soumission.
- [2] Le seul amendement fut le remplacement de la phrase initialement suggérée par Charles Pinckney de Caroline du Sud, disant que les monopoles étaient accordés pendant un « certain temps » [voir 3 id., p. 122].
- [3] La Cour d'appel a minimisé l'importance de l'appauvrissement du domaine public quand elle a soutenu que « préserver l'accès à des œuvres qui autrement auraient été perdues – non pas versées au domaine public, mais perdues – “promeut le progrès” aussi sûrement que de stimuler la création de nouvelles œuvres » [239 F.3d, 379]. C'est une référence manifeste aux affirmations des détenteurs de copyright faites au cours du processus législatif, que certains types d'œuvres, en particulier les films, ne seraient conservés physiquement que si le monopole du copyright était prolongé. Il suffit de préciser qu'un tel principe pour l'octroi de monopoles de copyright est en conflit avec l'exigence d'originalité exigée par la Constitution : le Congrès ne peut pas choisir de conserver les livres, les films ou la musique en cédant au conservateur un monopole de droit valable pendant des décennies sur leur copie et leur redistribution.